Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

hervé juvin - Page 5

  • Hervé Juvin et la démondialisation de l’économie...

    Le 17 juin 2022, Clémence Houdiakova recevait Hervé Juvin dans la matinale de Radio Courtoisie, Ligne droite, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

                                                 

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Chez nous !...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie viennent de publier un essai d'Hervé Juvin intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

    hervé juvin,localisme,économie totalitaire,globalisation,gafam

    " La crise de la Covid-19 n’a pas seulement changé nos vies, elle a révélé au grand jour les impasses d’une globalisation imposée à marche forcée par les marchés et la financiarisation des choses et des êtres, à telle enseigne que le trajet du coronavirus a suivi celui des lignes aériennes. Ce virus est à la fois l’avatar de la globalisation – et son échec le plus patent. Extension du contrôle social, restriction des libertés, toute puissance de Big Pharma et des Gafam, dérive de la séparation des pouvoirs, faillite de notre industrie. Pour autant, ce n’est pas la fin de tout ; une solution existe pour que l’économie redevienne plus humaine, le monde plus vert et l’homme plus libre…
    Et cette solution s’appelle le « localisme » ! Rien de tel pour réduire le pouvoir de la finance, restaurer une écologie créative et non plus punitive, redonner à l’homme le goût et le sens de la liberté. Revenir au plus proche, au plus concret, au plus vivant. Du rôle de l’État à la refondation de l’entreprise, les pistes ne manquent pas pour réaffirmer le droit de choisir notre destin en garantissant aux Français que nous sommes bel et bien « chez nous » ! Voilà ce que permet le localisme, voilà ce qu’explique cet ouvrage. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Écologie politique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la question de l'écologie politique...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

    Ecologie_Terre.jpg

     

    Écologie politique ?

    La science des systèmes vivants complexes est mobilisée pour garantir les conditions favorables à l’existence humaine sur terre. C’est tout le sens d’une écologie politique, écologie des ressources et de la vie. Mais aussi, écologie des pouvoirs et des intérêts. Des Nations et des civilisations. Trop longtemps, le discours de l’écologie politique a ignoré les questions géopolitiques. Il a ignoré la puissance, la Défense, et la sécurité. Alibi de la globalisation, il s’est abandonné aux platitudes de l’universalisme marchand et il leur a sacrifié la réalité des écosystèmes et des cultures qui leur sont liées, tous différents, tous enfants de la géographie et de l’histoire, à la fiction d’un monde humain uniformisé par la technique, d’un côté, de l’autre, à une sacralisation de la nature importée du mythe américain du « wilderness » — que le monde serait beau sans hommes !

    Une évidence

    L’urgence est d’accepter l’évidence ; parce qu’elle concerne l’eau et la terre, la diversité animale et végétale, la qualité de l’air et des aliments, parce qu’elle touche à la fertilité et à la fécondité animale, végétale et humaine, parce qu’elle entre en consonance avec les identités collectives, les traditions et les frontières, l’écologie est aussi un savoir de la sécurité, de la défense — et de la paix. Les circonstances dramatiques déclenchées par l’invasion russe de l’Ukraine appellent aussi une révision drastique des politiques dites « environnementales ». D’abord pour affirmer sans ambiguïté que l’écologie humaine est seule capable d’assurer dans la durée les ressources naturelles et les services écosystémiques nécessaires à la vie de nos concitoyens sur leur terre et dans leur Nation. Une terre épuisée par l’abus de traitements artificiels et des exigences de rendement excessives met en danger la sécurité alimentaire de la population qu’elle nourrit et la rend dépendante de l’extérieur. À long terme, la qualité environnementale qu’exprime notamment la biodiversité est un facteur décisif de cette sécurité qui commence par l’autonomie ; produire chez soi ce que l’on consomme, qui se nourrit de l’économie circulaire ; rien ne se perd, rien ne se jette, tout se récupère, se répare ou se transforme, et qui s’achève par la conscience du devoir de transmission familiale, locale et nationale ; transmettre aux siens un territoire plus beau, plus riche et plus vivant.L’écologie nous appelle à ménager la terre, à respecter les cycles de la vie, et à imposer des limites à la croissance des productions animales et végétales ; rien ne le dit mieux que ces terres mortes, parce que les insectes qui assurent la fécondation ont disparu, éliminés par les pesticides, comme les oiseaux qui tuent les ravageurs, et parce que la matière vivante du sol est épuisée, jusqu’à plusieurs dizaines de centimètres de profondeur, par l’abus des fongicides et autres chimies du sol — des terres qui ne produisent plus que gorgées d’engrais, des terres écrasées par des machines de plus en plus lourdes, travaillées par des agriculteurs devenus les faire valoir du machinisme, des semenciers et des chimistes allemands, au moment où les prix des engrais vont exploser ! Où sont la sécurité alimentaire, l’autonomie nationale et le devoir de transmettre ?

    Des singularités nationales

    Ensuite pour promouvoir le respect des singularités nationales, régionales et locales qui s’expriment dans les traditions, dans les modes de faire et de vivre, et qui traduisent la coconstruction millénaire des hommes par leur foyer territorial, et de leur foyer territorial par les hommes. Cette intimité est la première source de la richesse culturelle européenne. Elle est bafouée par des réglementations et des obligations intrusives qui alignent, uniformisent et nivellent au nom de la technique, pour le plus grand profit des multinationales, dans une logique de concentration délétère. L’Union des directives, des normes et de la conformité fait de l’Europe un non-lieu, archipel de bulles métropolitaines artificielles, séparées par des déserts à exploiter et à faire obéir.L’intérêt des multinationales est que tous les hommes construisent les mêmes maisons avec les mêmes matériaux standardisés, mangent les mêmes produits sans origine, sans saveur et sans goût, avalent les mêmes images et soient soumis aux mêmes informations — que tous les hommes deviennent les mêmes, ce qui impose l’artificialisation de leurs conditions de vie. Numérique, climatisation et individualisation vont de pair ; la sortie de la nature est le projet du capitalisme totalitaire. Face à son emprise, le localisme est la voie de la liberté, le choix politique d’une écologie humaine ; celle de l’alliance renouvelée entre l’homme et la vie.Encore, pour reconnaître que l’écologie est la science de bien vivre sur son territoire, parmi les siens, avec toutes les formes de la vie. Une écologie humaine est aussi une écologie des pouvoirs, de la puissance, de la sécurité et de la Défense. Une écologie des frontières, des États, et des marchés. Des rêves, et des désirs. L’écologie n’est pas une punition infligée à des populations qui auraient tort de vouloir défendre leurs libertés, conserver leur mode de vie, et demeurer ce qu’elles sont. Le naufrage de l’écologie politique ne s’explique pas sans le caractère anti-social, anti-national et punitif de dispositions contraires aux libertés individuelles comme aux choix de vie de nos concitoyens, des dispositions qui multiplient les exclusions, les inégalités et les discriminations, des dispositions concernant aussi bien le transport routier que les automobiles, le chauffage que l’alimentation, et qui ajoutent à la pauvreté la mauvaise conscience.
    Bouée de sauvetage du globalisme en perdition, le dérèglement climatique a été instrumentalisé pour accréditer l’idée fausse que les mêmes solutions vont résoudre un problème unique. Dans la réalité, il n’est pas deux écosystèmes touchés de la même manière par le dérèglement du climat, qui peut signifier ici refroidissement quand il entraîne ailleurs réchauffement, ma perte de biodiversité quand ici il va favoriser la fécondité du vivant ! Dans la réalité, les capacités d’adaptation humaines aux extrêmes climatiques se sont révélées extraordinaires ; et si le temps semble cette fois compté, l’urgence est tout aussi bien d’adapter et de s’adapter qu’elle est de lutter contre le changement du climat par des moyens autoritaires qui sont bien proches de devenir totalitaires.

    Pour réconcilier écologie et économie

    Inutile de rappeler les complexités à court terme. À long terme, relocalisation, réduction des intrants et des composants réalisent l’idéal de toujours des ingénieurs ; faire pareil avec moins, moins d’énergie, de matière ou d’argent. C’est la voie de l’écologie sociale, nationale et heureuse. À long terme, démocratie et écologie se rejoignent pour faire du nouveau combat pour l’autonomie humaine leur cause commune ; le grand enjeu politique du moment est de reprendre le contrôle sur la technique, de ne pas laisser les techniques, notamment numériques, disposer de nos vies et de la vie comme elles tentent de le faire à travers la sujétion inouïe des politiques aux maîtres des écrans et des algorithmes. Le nouveau combat pour l’autonomie est le combat contre l’obéissance numérique, contre la sidération numérique, contre la saisie de l’esprit par l’écran. Et l’écologie et la démocratie se rejoignent pour dénoncer la fuite en avant qui veut qu’aux imperfections des marchés, une seule solution existe ; plus de marché ! Le capitalisme devenu totalitaire à la faveur de systèmes comptables, juridiques et numériques invasifs entend que pas un grain de sable, un atome d’air, une goutte d’eau, un gène ou un être vivant, n’échappent à la loi du rendement maximal. Cette privatisation universelle est une privation généralisée. La protection abusive du capital se tourne contre la propriété, elle se tourne contre la liberté politique et la souveraineté des Nations, elle finit par ruiner la notion même de politique — la capacité des peuples de décider eux-mêmes de ce qui les concerne. Sur les limites des opérations économiques, sur les limites de l’entreprise privée, sur le contrôle des techniques et des marchés, l’écologie est la science qui peut réconcilier économie et démocratie, et tenir cette promesse fondatrice ; remettre l’économie au service de la bonne vie.

    Écologie des Nations et des civilisations

    Un écosystème qui se ferme à tout échange avec l’extérieur dépérit et meurt, un écosystème ouvert à tout ce qui lui vient de l’extérieur dépérit et meurt. Nous en sommes là. L’écologie nous enseigne qu’un certain degré de fermeture et de protection est une condition de la survie, parce que « c’est la condition de la stabilité du milieu intérieur » (Claude Bernard). Un certain degré de séparation entre sociétés humaines garantit leur liberté réciproque, leur capacité de se donner leurs lois et de suivre leur destin. Comment mieux dire qu’une globalisation qui signifie alignement et mise en conformité universelle appelle le conflit, la guerre, et la destruction ?   Nous y sommes. Il est vain de demander à l’écologie des réponses à l’urgence de la paix et de nouvelles relations internationales. Mais il n’est pas inutile de rappeler le doux savoir que la science de la vie doit infuser aux rapports internationaux comme aux relations humaines, un doux savoir des limites, de la mesure et de la modestie.
     
    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 15 avril 2022)
    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Pour que rien ne change au sein de l’UE...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au cap politique choisi par l'Union européenne...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

    UE_Tempête.jpg

     

    Pour que rien ne change au sein de l’UE

    Les eaux calmes et les saisons tranquilles sont propices au « en même temps ». Tout se concilie, tout s’arrange, tout s’accorde, et qu’importe si le bateau se déroute, il arrivera à bon port ! Tout se complique si le vent forcit et la mer se creuse. Le luxe du « en même temps » n’est plus permis, les choix s’imposent, avec les renoncements qu’ils appellent et la dureté qui tranche.

    L’Union européenne mesure-t-elle la dureté des temps qui s’annoncent ? Quelles que soient la poursuite et l’issue du conflit en Ukraine, et même si les efforts pour arriver à un cessez-le-feu, puis à un accord de paix devaient déboucher rapidement, le confort du « en même temps » ne lui est plus permis. Sur quatre points au moins, l’Union doit sortir rapidement de l’ambiguïté, corriger le cap et se remettre en ordre de marche.

    Le financement de la défense

    Le projet de mise sous contrôle de toutes les activités économiques, connu sous le nom de « taxonomie », subordonne les capacités d’accès au marché des capitaux et de la dette, comme à l’assurance, des entreprises selon leur activité. Il était entendu que les industries d’armement seraient exclues de la liste des entreprises « vertes » — de celle que l’investisseur finance avec bonne conscience. Mais voilà que l’invasion russe change tout.

    L’Union envoie des armes défensives et létales par centaines de millions d’euros à l’Ukraine, l’Union veut investir dans sa Défense, l’Union se convertit à l’urgence de réarmer. À l’évidence, la taxonomie ne doit pas et ne peut pas paralyser l’effort de défense de l’Union. Même la coalition au pouvoir en Allemagne en convient. La parade qui consiste à corriger temporairement, ou à exclure de la taxonomie, le secteur de l’armement n’est pas satisfaisant. C’est tout le dispositif qui doit être revu, cette taxonomie qui favorise les grands groupes au détriment des PME, cette taxonomie qui sera un enfer administratif, cette taxonomie qui heurte directement la liberté d’investir, et demain peut devenir un carcan sur les libertés individuelles. Car quid d’activités industrielles non directement liées à l’armement, mais qui conditionnent la Défense, comme l’énergie ?

    C’est toute la logique de la taxonomie qui est à revoir. Et il y a urgence. Les financements de marché en fonds propres comme en crédit bancaire doivent permettre le développement de l’autonomie européenne de Défense dans les pays qui ont conservé tout ou partie de leur industrie d’armement. Ceux qui investissent dans l’industrie de Défense de leur Nation doivent non seulement ne pas être pénalisés, mais durablement incités à allouer leurs capitaux à la sécurité collective, aussi bien qu’à la production d’énergie et à l’autonomie alimentaire.

    La fourniture d’énergie abondante et sûre.

    Le projet dit : « Fit for 55 » est basé sur un lien erroné entre la consommation totale d’énergie et le dégagement de GES. C’est faux. Accroître la production d’énergie nucléaire, par exemple, ne signifie pas augmentation du dégagement de GES. C’est surtout malthusien ; limiter la fourniture d’énergie, c’est limiter la réindustrialisation de l’Europe, au moment même où il n’est plus besoin de démontrer combien notre sécurité dépend du raccourcissement des chaînes d’approvisionnement et de la relocalisation massive d’activités sur le territoire européen.

    Les stratèges chinois l’ont dit ; « un pays qui n’a pas d’industrie ne gagne pas les guerres ». J’ajouterais ; un pays qui ne met pas à disposition une énergie abondante, constante et bon marché n’a pas d’industrie. La sortie allemande du nucléaire n’est pas seulement une erreur, c’est une faute contre la sécurité des Nations européennes dont l’Allemagne doit payer le prix. Et voilà pourquoi la révision du projet « Fit for 55 » est urgente. Ici encore, il s’agit de la sécurité des Nations européennes, et de leur capacité à reconstruire les moyens de leur autonomie industrielle.

    La maîtrise des chaînes logistiques et des ressources vitales.

    Au moment même où le petit nombre de pays soumis aux États-Unis annonçait des sanctions « comme nous n’en avons jamais vu » à l’encontre de la Russie et de la Biélorussie, la commission du commerce international au Parlement européen (INTA) continuait comme si de rien n’était à vanter les mérites du libre-échange et à se vouer à la globalisation. Qui peut échapper à la violence de la contradiction ? L’aveuglement géopolitique est éclatant ; qui ne voit que la logique des sanctions est la plus opposée qui soit au libre-échange, et que l’Union européenne sacrifie le mode de vie des Européens et le pouvoir d’achat à l’urgence politique qui lui est dictée ?

    Qui peut échapper au constat désolant que rend éclatant la séparation du monde qui se déroule sous nos yeux ; parce qu’il appelle l’uniformisation des règles, des lois et des mœurs, parce qu’il signifie en finir avec la liberté des peuples de se donner leurs lois et leurs règnes, et in fine parce qu’il sacrifie la liberté politique à de supposés avantages économiques dont la majorité ne verra rien, ou subira les dommages, le libre-échange, avec son corollaire qu’est la liberté de mouvement des capitaux, appelle la guerre, entraîne la guerre, commande la guerre — et, de fait, provoque la guerre planétaire dont l’Ukraine est le trompe l’œil.

    Les représentants d’une Union européenne qui n’a à la bouche que les mots de paix, de démocratie et de liberté semblent ne pas se rendre compte des paradoxes et des contradictions dans lesquels ils se prélassent, sans voir que le confort des mots se paie — et commence déjà à se payer.

    Qui mesure à quel point le projet d’une taxe carbone aux frontières est une provocation à l’égard d’un monde en développement dont le moins disant environnemental est l’un des avantages compétitifs majeurs, et qui comprend combien les dispositions qui affaiblissent les Nations européennes, pénalisent les productions industrielles et protègent les rentes, contribuent à un désarmement qui est à la fois militaire, national et environnemental ?

    Green Deal

    Le Green Deal est l’enfant condamné de la fin de l’histoire, de la chute d’un Occident étendu au monde, et de la globalisation comme utopie du capitalisme totalitaire. La question n’est pas que la guerre prend le pas sur l’environnement, le climat et la santé humaine. La question est que les priorités de défense, de milieu de vie et de libertés de choix s’accordent pour appeler une révision drastique du Green Deal et des orientations imposées, faut-il le rappeler, sans consultations des électeurs et sans réel débat démocratique dans les Nations concernées.

    Elles s’accordent pour faire de la relocalisation massive des activités industrielles sur le sol des Nations européennes une priorité absolue — ce qui signifie, entre autres, une énergie abondante et produite en Europe. Elles s’accordent pour exiger que l’Europe retrouve son autonomie alimentaire, retrouvent la maîtrise du vivant, végétal et animal, en même temps qu’elle retrouve la biodiversité qui a si longtemps constitué l’une de ses richesses et de ses assurances. L’Europe doit produire à la fois plus et mieux, elle doit permettre au plus grand nombre d’exprimer sa préférence pour les produits locaux, artisanaux et aussi recréer les conditions de l’autoproduction familiale.

    Elles s’accordent pour faire de l’économie circulaire un facteur clé de notre autonomie, imposant la réparabilité des biens d’équipement, pénalisant l’obsolescence programmée, établissant les circuits de production à partir des déchets et rebuts — de la production d’énergie à la récupération des composants — et le système de collecte des objets en seconde ou troisième vie. et elles s’accordent à faire de la sécurité des modes de vie de nos concitoyens la priorité, opposée aussi bien à une écologie punitive devenue folle, qu’aux aberrations des chaînes logistiques étendues à la planète en raison d’un coût du transport artificiellement négligeable.

    De la folie des renouvelables à l’impasse du véhicule électrique, l’Union doit tout reprendre, tout repenser, tout refaire. Les facilités du « en même temps » ne nous sont plus permises. Baisse du pouvoir d’achat, remise en cause de nos modes de vie, ruptures d’abondance pour plusieurs ressources vitales ; si l’Union européenne a quelque chance de retrouver une légitimité compromise, c’est bien en acceptant ses erreurs, en corrigeant les faiblesses et par-dessus tout, en reconnaissant les limites d’arbitrages et de choix qui échappent au suffrage des citoyens des Nations européennes, mais pas aux intérêts de ceux qui les prennent pour cibles. Une seule certitude doit nous guider ; rien de durable ne se fera contre la volonté des Nations, les identités nationales, et le désir des citoyens de bien vivre.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 5 avril 2022)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Qui isole qui ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la recomposition du monde provoquée par la guerre russo-ukrainienne...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

    Russie_Sanctions.jpg

    Qui isole qui ?

    Le conflit engagé à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie est planétaire. Son enjeu est la fin de la prétention occidentale à définir un ordre du monde au-dessus des Nations, des civilisations, et du droit des peuples à décider de leurs lois, de leurs mœurs et de leur régime politique. C’est la fin de l’occidentalisation du monde. Et son enjeu est l’avenir de l’Europe, une Europe que l’Union tire vers la soumission, une Union qui sacrifie le dur effort vers l’autonomie au confort de l’occupation américaine.

    Le 25 mars 2022, la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de la Conférence islamique s’est réunie à Islamabad, au Pakistan, en présence du ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. Réunissant 57 Nations, soit plus du quart des Nations représentées à l’ONU, elle a publié une déclaration qui condamne les sanctions contre la Russie et refuse de s’y associer. Déclaration appuyée lors de la rencontre des Premiers ministres malais et vietnamien à Hanoï ; les seules sanctions légitimes sont celles imposées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.

    Dans un entretien accordé à l’Humanité (publié le mardi 15 mars), Macky Sall, le Président du Sénégal, également président de l’Organisation de l’Unité africaine, a expliqué le choix de s’abstenir lors du vote condamnant la Russie, au nom de son pays, mais aussi de tous ces pays africains qui savent ce qu’ils ont dû à l’Union soviétique, ce qu’ils doivent encore à une Russie qui demeure présente, qui distribue de l’aide alimentaire et remporte un soutien populaire marqué.

    La même semaine, les Émirats arabes unis recevait le Président de la Syrie, Bachar El Assad, annonçait que son pétrole pouvait être payé en roubles, et refusait de recevoir l’envoyé américain.

    De son côté, l’Inde négociait un contrat d’approvisionnement en énergie « roubles contre roupies », tandis que pour la première fois depuis des décennies, le ministre des affaires étrangères chinois annonçait se rendre en Inde, et que le ministre indien des Affaires étrangères se rendra à Pékin, l’un et l’autre balayant les provocations auxquelles se livrent les États-Unis et les Anglais complices pour réanimer le conflit marginal à la frontière himalayenne, ou pour susciter des incidents avec cet État-frère que fut le Pakistan.

    Pendant ce temps, l’Union européenne accueille un Boris Johnson hilare du bon tour joué à l’Europe en choisissant le grand large et en rejoignant des États-Unis fermement décidés à renforcer leur occupation de l’Europe, ouverture de bases militaires, par exemple en Bulgarie, et arrivée massive de militaires américains faisant foi. Peu importe ce qu’un Joe Biden cacochyme pourra dire, par exemple reprocher à Poutine d’envahir la Russie, confondre l’Ukraine et l’Iran, ou saluer sa mère morte depuis quinze ans (trois preuves récentes de la sénilité d’un Président par défaut). Le plus grave n’est pas que l’Union européenne se plie à l’alliance que la peur, l’histoire et les traités lui imposent. Le plus grave est que nul ne semble capable de comprendre ce qui se passe, et qui se dit en trois mots.

    Racisme. L’analyste indien Bhadrakumar a dit tout haut ce que tous pensent tout bas. Cinq cents, sept cent mille, peut-être un million de victimes irakiennes de l’invasion américaine et britannique n’ont pas ému les belles consciences occidentales. Les dizaines de milliers de victimes de l’agression illégitime contre la Libye n’ont pas ému les belles âmes et les généreuses fondations. Et pas davantage les centaines de milliers de victimes afghanes de l’occupation américaine, ou les milliers de victimes serbes de l’agression otanienne. La crise humanitaire qui a frappé le Liban, qui frappe la Syrie du fait des sanctions n’empêche aucun activiste des ONG et Fondations américaines de dormir. Ne parlons même pas des millions de morts au Congo, en partie victime de l’entretien des groupes armés par les compagnies minières occidentales. La réalité est irrecevable de ce bon côté du monde, mais elle est ; les victimes blondes aux yeux bleus ukrainiennes mobilisent une fraternité dont les Européens ne mesurent pas à quel point elle est insultante pour tous ceux qui n’ont jamais eu le droit à la moindre compassion — pas même quand une Mme Allbright déclarait ne pas se soucier des milliers d’enfants irakiens morts faute de médicaments ! Il y a les bonnes victimes, et il y a les victimes dont nul ne se soucie. Le problème est qu’ils le savent, et qu’ils ont compris la leçon formulée par un dirigeant américain ; « on nous accuse de massacres, mais n’oubliez pas que les victimes n’étaient pas des Américains » !

    Injustice. Les avoirs de la Banque centrale russe ont été saisis. Une telle saisie n’est pas sans précédent. Les avoirs de la Banque centrale d’Iran avaient été saisis et un immeuble propriété de l’Iran à New York, acquis en toute légalité, volé. Les avoirs du Venezuela ont également été volés. Plus récemment, après la déroute américaine en Afghanistan, les avoirs de la Banque centrale ont été saisis, à hauteur de 7 milliards de dollars. Cette saisie, qui représente une part significative du PIB d’un des pays les plus pauvres du monde, contribue à une crise humanitaire de grande ampleur, qui menace de famine des millions d’Afghans — mais, c’est vrai, ils ne sont pas Américains. Iran, Venezuela ou Afghanistan sont à la fois des acteurs marginaux des échanges monétaires et financiers mondiaux, et les cibles prévisibles de sanctions américaines dont ils sont les adversaires directs.

    La saisie des avoirs de la Banque centrale russe est de toute autre conséquence. La Russie n’est pas en guerre avec les États-Unis. Ces avoirs correspondaient à des échanges légaux, et étaient légitime propriété de la Russie. Au sens propre, ils ont été volés. La Russie, membre du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, vraie civilisation et pays-continent étendu sur 12 fuseaux horaires est une puissance nucléaire qui peut tenir en respect les États-Unis. Passons sur les impacts techniques potentiels, et sur l’infinie complexité des relations entre Banques centrales elles-mêmes, banques commerciales et marchés financiers.

    L’unilatéralisme américain vient de passer la ligne rouge, une ligne rouge qui signifie que c’en est fini de la suprématie du dollar, de l’addiction mondiale au dollar, et de la capacité des pays occidentaux de vivre au crédit du reste du monde. Il n’est plus aujourd’hui dans le monde un seul pays qui ne s’interroge ; et si les États-Unis décidaient de saisir les avoirs de ma Banque centrale ? La propagande écrasante à laquelle nous sommes soumis nous empêche de nous poser la question, voire de comprendre la réponse qui s’impose, d’Asie en Afrique ; le monde serait meilleur sans les États-Unis d’Amérique du Nord.

    Sans doute, la Russie est coupable d’agression contre l’Ukraine, la Russie n’est pas un régime démocratique selon la définition qu’en donnent les États-Unis et l’Union européenne, la Russie n’accepte pas la propagande LGBT, les Fondations et les ONG qui sont autant de lobbys américains, désignent la Russie qui les expulse comme un « rogue State », la Russie est coupable de ne pas accepter l’extension de l’OTAN à ses frontières, la Russie est coupable d’entretenir des relations étroites avec les peuples européens de religion orthodoxe. Qui a parlé de souveraineté, de non-ingérence, ou, simplement de diplomatie ?

    La Russie est bannie de la communauté bancaire internationale — ou de ce que la tribu financière anglo-américaine désigne comme telle. Situation sans précédent. Même au temps de la Seconde Guerre mondiale, les banques centrales, dont la Banque d’Allemagne, continuaient de travailler ensemble en Suisse. Ce que les États-Unis et leurs collaborateurs veulent légitimer au nom du Bien, un Bien dont ils disposent à leur convenance, est pur et simple vol. Aucune règle internationale ne couvre leur décision unilatérale. Certains voudront voir un progrès dans ce qui est une régression de la civilisation, cette civilisation des mœurs qui veut que même quand la guerre fait rage, il faut se parler, il faut échanger, et il faut que les populations vivent. Bien sûr, ceux qui ne rêvent que d’ajouter de la guerre à la guerre et de se battre jusqu’au dernier Ukrainien n’ont que faire du mot « civilisation ».  

    Arrogance. Le Bien est ce que les États-Unis et leurs complices ont déterminé qu’il soit. Des ONG et des Fondations décident quel est le bon régime, quel est le mauvais et choisissent selon les intérêts de leurs financeurs les « abus manifestes » et les « entraves insupportables » aux droits de l’homme qu’elles oublient si bien de dénoncer ailleurs. Tout cela au nom d’un universalisme de pacotille qui ramène les États-Unis au temps de la conquête du Far West !

    Répondant à une arrogante journaliste anglaise de la BBC — en est-il d’autres ? — qui l’accusait de réprimer la presse, le Président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, lui a justement retourné la question ; quel est le sort fait par la justice britannique à Julian Assange, qui a seulement révélé les crimes de l’Amérique, et pour cela paie de sa vie en dehors de toute légalité ? « Vous n’avez aucun droit de prétendre à une quelconque supériorité morale » ; ce que le Président de l’Azerbaïdjan dit à une blonde journaliste anglaise, le monde le dit à l’Occident (ceci écrit sans aucune prétention à défendre la politique de l’information en Azerbaïdjan !)

    S’il suffisait de tuer tous les méchants ! et s’il était si simple de distinguer les bons des méchants ! La question a peu de chances de perturber le fonctionnement binaire des « stratèges » de Washington, elle a moins de chance encore de refonder la diplomatie, cet art d’entendre l’adversaire, de comprendre les raisons de l’ennemi, ses buts de guerre, d’entretenir le dialogue et la conversation, qui sont les seuls moyens de paix durables et de traités viables. L’arrogance américaine est partout ressentie, surtout dans ces pays d’immense civilisation que sont l’Inde, la Chine, les Etats islamiques, qui n’ont que mépris pour des pays comme l’Australie ou les États-Unis, déversoirs de l’Europe. Pour une fois, il convient d’être fier d’être Français ; le Président Emmanuel Macron a été le seul à relever l’indécence des propos tenus par Joe Biden à l ’encontre du Président Vladimir Poutine.

    Combien de siècles, de guerres, de défaites et de morts faudra-t-il aux États-Unis pour peut-être construire une civilisation ? La question est de savoir s’il restera encore des États-Unis pour y prétendre édifier — tant s’y sont essayés, qui ont disparu sans laisser de traces ! Et la question est désormais ; cette grande civilisation qu’a été l’Europe, cette civilisation qui est la nôtre, choisira-t-elle de s’abîmer avec un allié américain qui lui apporte l’illusion de sa sécurité au prix de sa soumission, ou choisira-t-elle d’en finir avec une dépendance dont chaque jour montre un peu plus qu’elle l’éloigne du monde, et qu’elle la prive de sa plus grande force; l’intelligence du monde ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 27 mars 2022)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Machiavel, toujours…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à l'élévation des enjeux de la guerre russo-ukrainienne...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

    Biden_Poutine.jpg

    Machiavel, toujours…

    Au moment où des édiles français proposent de changer le nom d’un lycée nommé Soljenitsyne parce qu’il est russe — savent-ils seulement quel dissident a été Soljenitsyne ? — au moment où la propagande se déchaîne jusqu’à désigner coupables ceux qui cherchent seulement à comprendre les raisons de l’invasion russe de l’Ukraine — essayer de comprendre, c’est déjà être complice ! — encore et encore, revenons-en à Machiavel. Chercher « la verita effettiva de la cosa », voilà la seule ligne que tout élu, tout stratège plus encore, devrait adopter. Et si nous essayions de regarder ce qui est, au lieu de nous remplir de bonne conscience en proclamant ce qui devrait être ?

    Un enjeu qui va au-delà des populations russophones

    La guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine n’a plus pour enjeu la sécurité des populations russophones du Donbass et d’ailleurs, ni le respect de leurs droits, tels qu’ils étaient prévus dans les accords de Minsk. Nous en sommes loin. Ce que le pouvoir russe s’obstine à nommer « opération » est devenu une guerre à signification mondiale, qui échappe largement à la Russie elle-même. Tel qu’il se dessine avec une précision croissante, l’enjeu est la fin de la domination anglo-américaine sur le monde. Cette domination s’exerce aujourd’hui à travers le monopole du dollar dans les transactions internationales, à travers le monopole des marchés de la City de Londres, de Wall Street et du Nasdaq aux États-Unis, plus encore d’une financiarisation insoutenable de l’économie mondiale, et par une instrumentalisation constante des prétendues « institutions internationales » par la tribu anglo-américaine, l’Union européenne n’y échappant pas.

    Cette domination se justifie par une prétention arrogante à détenir le « Bien » et à faire le Bien du monde sans lui, voire contre la volonté exprimée des peuples. Cette domination explique le : « deux poids, deux mesures » qui, par exemple, dispense de toutes sanctions et de tout embargo les puissances coupables des agressions sans mandat des Nations-Unies contre la Libye (le mandat se limitait à la protection de Benghazi), contre l’Irak ou les complices des terroristes islamistes, par exemple en Afghanistan (la CIA contractant avec Ben Laden à Peshawar) ou en Syrie (l’invention britannique des « Casques Blancs »), et paralyse toute enquête sur la responsabilité américaine dans les pandémies échappées des laboratoires sous son contrôle, dans vingt-cinq pays, en Ukraine comme en Chine, en Bulgarie comme en Géorgie ou au Kazakhstan — et à Wuhan.

    Sujet majeur ; des Nations représentant 3 milliards d’habitants exigent du Conseil de Sécurité de l’ONU une enquête indépendante, qu’une administration américaine en panique refuse, mais que le sénateur Rand Paul appelle, incarnant ce peu qui demeure de liberté en Amérique. Et elle explique un fait constaté, de Dakar à Delhi et de Téhéran à Pékin ; 8 milliards d’êtres humains qui sont autant de citoyens d’une Nation, d’héritiers de cultures et de civilisations toutes différentes, liés par leur identité collective et par cette liberté qui s’appelle souveraineté, ne seront pas conduits par cinq ou six cents millions de protestants arrogants et désormais, ignorants. Ajoutons notre lecture à l’emploi à deux reprises des missiles hypersoniques par la Russie ; la cause est entendue, et la sentence est sans appel. Les militaires ont entendu le message. Les mercenaires aussi, qui quittent l’Ukraine quand ils le peuvent.

    L’économie compte

    Le dirigeant historique de la Malaisie, Mohammad Mahathir, l’avait déclaré ; « l’Occident a tout pour être heureux, pourquoi veulent-ils vivre au-dessus de leurs moyens ? » Déclaration modérée, venant du dirigeant d’un pays un temps ruiné par l’attaque organisée par Georges Soros et ses complices contre le ringgit, la monnaie malaise. Saturé par la propagande à quoi se réduit la prétendue « économie » libérale, les Occidentaux ne mesurent pas à quel point l’aisance qu’ils croient devoir à leur travail, leurs entreprises et au génie de leurs dirigeants doit une part décisive au monopole du dollar. À de très rares exceptions près, le prix de toutes les matières premières qui comptent est libellé en dollar, et les marchés à terme de Chicago font les cours des céréales comme celui de Londres manipule les prix de l’or. À de très rares exceptions près, toute grande entreprise poursuivant une croissance mondiale cherche à lever des capitaux sur les marchés américains, à se faire coter sur ces marchés, et utilise les services de banques, d’auditeurs et de consultants américains — sans se rendre compte qu’elle tombe sous le coup des lois américaines.

    Faut-il l’écrire au passé ? Il faut l’écrire au passé. En faisant disparaître quelques semaines Jack Ma, le milliardaire fondateur d’Alibaba au moment de l’introduction en Bourse de sa filiale, Ant, le gouvernement chinois a fait savoir que l’argent ne gouvernait pas la politique de la RPC. En négociant avec la Russie un contrat d’approvisionnement d’énergie à bon compte, en rouble contre roupie, l’Inde envoie un signal que renforce la décision des Émirats arabes unis de vendre du pétrole en yuan, hors dollar — au moment même où le nouveau maître des destinées de l’Arabie Saoudite refuse de prendre Joe Biden au téléphone. Le fait est que le dollar est en train de perdre sa fonction de référence sur les marchés de l’énergie.

    La conclusion pourrait être : avec le monopole des transactions sur les matières premières, le dollar perd sa centralité dans le système monétaire mondial. Elle s’exprime autrement ; depuis le coup d’État monétaire de Nixon, le 15 août 1971, rendant le dollar non convertible en or, depuis une série d’escroqueries américaines, la moins commentée et la plus décisive étant sans doute la substitution de la comptabilité à valeur de marché (« market value ») à la comptabilité à valeur historique au début des années 2000, les États-Unis et, dans une moindre mesure, leurs alliés européens, bénéficient d’un niveau de vie surévalué de quelques 30 %. Qu’ils en profitent tant qu’il est temps !  

    La finance compte

    Qu’il s’agisse de l’allocation mondiale des capitaux ou des systèmes de paiement internationaux, Britanniques et Américains se sont approprié l’essentiel de services financiers qui conditionnent les échanges mondiaux et contribuent à faire du dollar la monnaie d’échange et de réserve mondiale. Cette situation a pu se créer et perdurer à la faveur de trois éléments.

    D’abord, la prétention à l’impartialité ; du WTO au FMI et aux marchés boursiers, le marché, rien que le marché, ses forces anonymes et ses mécanismes universels assurent seuls les échanges et les valorisations. Ensuite, l’absence de concurrence ; pourquoi créer à grands frais ce qui fonctionne déjà ? Enfin, l’acceptation passive d’une forme de supériorité anglo-américaine en matière de finance et de commerce ; eux, ils savent ! Voilà ce qui s’achève, pour autant de raisons décisives. Le mythe de la compétence américaine n’a pas survécu au naufrage de 2008 et d’une faillite bancaire américaine exportée au reste du monde.

    La confiscation des avoirs de la banque centrale russe, après le vol des réserves de la banque centrale d’Iran (et d’immeubles détenus à Manhattan) ou d’Afghanistan, met fin à l’illusion d’impartialité du marché ; la conditionnalité, qui devient le mot d’ordre d’un pouvoir américain désireux d’en finir avec la montée en puissance de la Chine, n’a rien à voir avec le marché, tout avec la politique — et légitime du coup les dispositions analogues prises par d’autres pays, sur d’autres continents. La suspension de grandes banques russes du système Swift réalise ce que de nombreux pays envisageaient comme possibilité extrême ; celle d’une instrumentalisation politique du système de paiement international basé au Luxembourg — et provoque la mise en place de solutions alternatives, comme la Chine en propose déjà.

    Enfin, et surtout, l’extension mondiale des relations financières sous l’égide des fonds d’investissement et des banques anglo-américaines impose des rendements financiers supérieurs à 15 %, incompatibles avec l’industrialisation des pays en croissance, incompatible avec le maintien d’entreprises artisanales, familiales, indépendantes, incompatibles tout autant avec la présence de banques de proximité, finançant l’activité locale par crédit à long terme à faible taux (6 à 7 %), et plus encore, avec l’autonomie stratégique des Nations et la résilience de l’environnement. Bref ; la mobilité internationale des capitaux et des services détermine des abus de droit qui entravent sans cesse davantage la liberté des Nations, prétend leur interdire d’adopter le système économique qui leur convient (par exemple, le financement public des entreprises stratégiques). Voilà pourquoi la globalisation conduit à la guerre, puisqu’elle appelle une uniformisation des règles incompatible avec la liberté des peuples. Voilà pourquoi tout ce qui permet l’application des lois américaines, des principes juridiques, comptables et commerciaux américains suscite non seulement un rejet, mais des alternatives qui auront bientôt marginalisé une puissance qui se prenait pour le monde, et qui devient une Nation provinciale, intolérante et décomposée, dont le monde se dispenserait volontiers.

    La politique compte

    Il est du plus haut intérêt de constater combien de « journalistes » concluent des événements récents à l’isolement de la Russie. Les faits sont pourtant là, établis par les votes à l’ONU lors de la résolution condamnant la Russie, établis aussi par les déclarations des dirigeants. La moitié des pays de l’Union africaine se sont abstenus, son Président, le Président du Sénégal, Macky Sall, s’abstenant lui-même, ce qui illustre le naufrage de la France en Afrique. Si la Chine s’est opposée, l’Inde s’est abstenue, comme la Turquie elle-même, membre de l’OTAN. En Asie, quelques-unes des puissances montantes, comme le Vietnam peu suspect d’allégeance à la Chine, s’est également abstenu.

    Et le Mexique, comme l’Argentine, comme le Brésil, ont fait savoir leur opposition aux sanctions. Le calcul est vite fait ; ce sont des pays représentant plus des deux tiers de la population mondiale qui ont voté contre la condamnation de la Russie, ou se sont abstenus. Et ce sont des dizaines de pays qui entendent bien continuer à commercer avec la Russie, et le font savoir. Et c’est l’Inde qui examine son retrait du « Quad », cette officine des intérêts anglo-américains dans le Pacifique. Et ce sont des dirigeants de partout, en Afrique comme en Asie et en Amérique latine, qui interrogent ; si le Tribunal Pénal International existe, comment se fait-il que les Donald Rumsfeld, Tony Blair, Colin Powell, Madeleine Allbright, Victoria Nuland, parmi d’autres, n’aient jamais été traduits devant le procureur ?

    Sans doute ne savent-ils pas que les États-Unis n’ont jamais reconnu le Tribunal Pénal International, ni les conventions internationales sur le droit de la guerre. Mais que sait encore une Union européenne qui, pour avoir célébré la chute du Mur de Berlin et faute d’assurer elle-même sa défense, n’a pas su faire tomber le Mur de l’Ouest, a chéri une occupation américaine qui la dispensait de tout effort stratégique, comme l’a justement dénoncé Donald Trump ? Victoire rapide ou enlisement des forces russes changeront peu de chose à un renversement du monde en cours, et que l’Asie attend avec gourmandise, laissant aux Russes leur incertaine aventure militaire — elle a le temps d’en finir avec le péril blanc. Abandonnant toute notion d’autonomie stratégique, courant piteusement se réfugier à l’abri théorique de l’OTAN, l’Union européenne pourrait bien se retrouver entraînée dans la chute de l’empire américain, trop soumise, trop muette, et trop assoupie dans un confort usurpé, pour pouvoir aider son allié à reprendre pied dans un monde qu’il ne comprend plus.

    La seule véritable urgence stratégique pour l’Europe est de regarder la réalité en face. Nous ne sommes plus les maîtres du monde.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 20 mars 2022)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!